mardi 6 novembre 2012

Médicaments : l’état d’urgence



Christian Lajoux, patron de Sanofi, publie un livre sur l'état de l'industrie du médicament en France. Entre protectionnisme et lobbyisme dans un monde très curieux et très opaque.

A grands renforts de promotions détournées, Christian Lajoux, président des entreprises du médicament, PDG de Sanofi France, patron du lobby du médicament à l’Assemblée nationale, administrateur de l’Inserm et de l’ANSM (agence nationale de sécurité du médicament) -ex-AFSSAPS-, membre du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance Maladie (HCAAM) et Président de l’IFIS (Institut de Formation des Industries de Santé), membre du conseil exécutif du Medef, sort le 8 novembre prochain, un livre Médicaments, l’état d’urgence (éditions du Cherche-Midi) mêlant récit de la crise du Mediator (benfluorex, Servier), analyse de ses conséquences et appel à "la nécessaire réforme de l'organisation professionnelle". Comme un hasard, à quelques jours près, les Entreprises du médicament lancent une nouvelle campagne de communication pour valoriser l’industrie du médicament. Monsieur Lajoux est donc invité sur les plateaux de télévision et de radio (RMC-BFMTV, L’Usine Nouvelle), conjuguant la crise sociale chez Sanofi et les suppressions de postes dans le domaine de la recherche, l’opacité du chiffre d’affaires de Sanofi en France, les entreprises du médicament qu’il estime « tricardes » et son analyse personnelle mais pas forcément désintéressée de l’affaire du Mediator de Servier.

Ainsi Monsieur Lajoux explique dans son livre que nous, les patients, les malades, nous sommes de mauvais consommateurs de médicaments et que nous ne respectons pas les ordonnances des médecins. De plus, il nous explique que le conditionnement des médicaments n’est pas fixé par les laboratoires mais par les autorités de santé. Il faut donc imaginer un fonctionnaire du Ministère de la Santé fixer le nombre de gélules dans une boite…

Autre passage intéressant à propos du livre des professeurs Debré et Even (Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux), jugé par Monsieur Lajoux comme un livre non sérieux, insuffisamment documenté et comportant de nombreuses erreurs, impliquant ainsi que ce best-seller est dangereux pour les malades et pour les médecins. Chacun pourrait se demander si les professeurs Debré et Even n’ont jamais rencontré Monsieur Lajoux et qu’ils n’ont jamais discuté des médicaments produits par Sanofi…

Mais la déception est cruelle quand on lit le livre de Monsieur Lajoux. Rien sur l’approche scientifique dans l’affaire du Mediator alors que des cardiologues expriment désormais ouvertement leurs doutes. Rien sur les opérations de lobbying à l’Assemblée nationale alors que les discussions sont au même moment houleuses à l’Assemblée nationale comme fin octobre où il est question du projet de loi de finances de la Sécurité sociale. Bernard Accoyer (médecin ORL de métier et l'ancien président UMP de l'Assemblée nationale) fulmine : « J'ai conscience de prendre beaucoup de risques en défendant l’industrie pharmaceutique. J’entends déjà ce que Mme la présidente de la commission et peut-être Mme le ministre vont dire : nous défendons un lobby. Non, nous défendons simplement un des derniers fleurons de l’industrie française (..). L’industrie pharmaceutique française, c’est 120 000 emplois, le quatrième poste exportateur. Cette industrie est en crise, sous les coups que vous lui assenez méthodiquement elle finira par partir. » Christian Lajoux ne dit pas autre chose et la tactique est claire. Il faut vite se débarrasser des scandales sanitaires qui ont terni l’industrie du médicament dans son ensemble, mais sans jamais expliquer comment la situation s’était à tel point dégénérée. Quel est le rôle des 270 entreprises du médicament en France ? Quel est le pouvoir réel du lobbying du LEEM ? On serait donc en droit de s’interroger sur la présence du LEEM à l’Assemblée nationale, représentée par Muriel Carroll, responsable des affaires publiques et sur les actions de lobbying évidentes envers les élus de la République.

Le fait que Christian Lajoux assure la présidence de Sanofi France ainsi que le LEEM ne choque visiblement personne. Cependant en tant que président du LEEM, Christian Lajoux a promptement réagi lorsque le rapport de l’IGAS à propos du Mediator fut publié au mois de janvier 2011 accablant le groupe Servier. Trois jours à peine après sa diffusion, le patron du LEEM indiquait qu’il « n’était pas inutile que Servier renonce à un certain nombre de postes importants, comme les présidences de groupe ou la présidence de la commission économique du LEEM ». Le lâchage d’un des plus gros contributeurs du LEEM en dit long sur les enjeux de l’affaire Mediator : « les industriels du médicament sont très préoccupés par la perte de confiance réelle à l’égard des industriels et du système de santé. Nous constatons la déflagration et l’anéantissement des efforts qui ont été faits depuis des années dans la réhabilitation du médicament dans l’opinion a sobrement » commentait Christian Lajoux à l’occasion des vœux du LEEM le 31 janvier 2011. A leur tour, les laboratoires Servier annonçaient leur démission de l’organisation professionnelle estimant « «injustifiée» leur mise à l'écart du LEEM.

Sur le plan politique, au mois de février 2012, Christian Lajoux, dressant le bilan de l’année écoulée, soulignait « sa volonté affichée de maintenir un dialogue permanent avec les autorités (à l’époque Xavier Bertrand en particulier, le ministre de la santé), et celle de préserver l’attractivité et la compétitivité industrielle de la France ». Evidemment, les esprits perfides pourraient aussi se dire que la disparition espérée des laboratoires Servier laisserait un peu plus de place au géant Sanofi. Il est donc légitime de se demander si le livre de Monsieur Lajoux n’est pas un plaidoyer pour les laboratoires pharmaceutiques, qui, après les différents scandales sanitaires, se retrouvent durement encadrés par la loi. A moins que cet ouvrage ne soit un bilan de l’action de Monsieur Lajoux à la tête du LEEM qu’il quittera à la fin de l'année et probablement remplacé par un grand nom du médicament et du lobbying, Hervé Gisserot, directeur de GSK France et ancien directeur de Sanofi Allemagne… Vous croyez que quelque chose changera ?

Sources :