samedi 31 mars 2012

Affaire du Médiator : les hommes de l’ombre. Chapitre 2 : Michel Bettan


Il est des personnages qui n’apparaissent jamais vraiment en pleine lumière mais dont le nom apparaît régulièrement dès que l’affaire du Mediator ressort. Ceux que des auteurs appellent les « gourous de la com » se font rares sur les plateaux de télévision. Ils préfèrent œuvrer en développant des stratégies d’influence afin de préserver les intérêts de leurs clients, hommes politiques ou grandes entreprises. C’est le cas de Michel Bettan, dont on entend la voix rare à l’occasion d’une émission du magazine Médias sur France 5. Retour sur un personnage trouble.

Le parcours de Michel Bettan est rapide pour un simple diplômé de l’Université. Né en 1966, Michel Bettan est titulaire d’une maîtrise du droit des affaires, d’un diplôme d’études supérieures spécialisées en droit de la construction et de l’urbanisme. Ni Sciences po, ni ENA. Son ascension dans le milieu des affaires débute lorsqu’il rejoint le député très actif Gilles Carrez en tant qu’assistant parlementaire puis comme conseiller particulier de 1993 à 2004. Il y rencontre les politiques qui comptent, ceux qui pèsent sur les décisions et qui tissent au quotidien les réseaux de pouvoir. Puis, il rejoint Xavier Bertrand au ministère de la Santé comme chef de cabinet et conseiller auprès du Ministre de 2004 à 2007. En 2008 il rejoint la direction de l’UMP, bien coaché par le très influent Stéphane Fouks, patron puissant et écouté d’Euro RSCG. Agence d’ailleurs vers laquelle Michel Bettan est exfiltré subitement en septembre 2010. Car les bruits et les rumeurs du financement de partis politiques via l’industrie pharmaceutique, et plus particulièrement, par la CSRP (Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique) se développent. Il faut sauver le soldat Bettan qui rejoint donc Euro RSCG, filiale du groupe Havas (Vincent Bolloré) et le pôle « affaires publiques », c’est-à-dire, en termes plus clairs, les actions de lobbying. Le poste était vacant depuis le départ de Bernard Sananès pour EDF au début de l'année 2010. Grâce à son carnet d’adresses soigneusement entretenu au Ministère de la santé, Bettan œuvre pour le principal client de l’agence, Sanofi, et soutient le n°1 du médicament dans le développement d’un « buzz santé ». 

Sans nul doute, ce transfert vers Euro RSCG de l’ex-bras droit de Xavier Bertrand sert les intérêts politiques et personnels du Ministre de la Santé. Pouvoir s’appuyer sur une très grosse agence de communication peut être utile pour préparer une ambition politique mais également pour se prémunir de toutes nouvelles affaires relatives au… Médiator. C’est ici que les relations Bertrand-Bettan jouent parfaitement leur rôle. Il est notoire que Xavier Bertrand a besoin de puissants alliés pour se prémunir de toute attaque pour son rôle dans la gestion de cette affaire Mediator qui risque de perturber son ascension vers les présidentielles de 2017. En effet, Xavier Bertrand a tout fait pour charger les laboratoires Servier (voir l’article sur Aquilino Morelle) puisqu’il était déjà aux affaires en 2006. Le rôle de Bettan chez Euro RSCG est de pouvoir discréditer toute tentative de sortie honorable des laboratoires Servier. Le poids d’Euro RSCG, l’influence de Bettan auprès de grands quotidiens comme Le Figaro ou Libération, l’utilisation du lobbyiste Daniel Vial, le rassemblement d’alliés objectifs (le député Bapt, Irène Frachon elle-même) convergent vers une accusation récurrente de Servier, même sans fondement. Sous un autre angle, il paraît également évident, que la stratégie développée par Bettan chez Euro RSCG au service de Bertrand, sert directement ou non, les intérêts de Sanofi qui se verrait sans doute d’un assez bon œil, mettre la main sur Servier et ses brevets. 

Homme de l’ombre certes, mais pas totalement, puisque Michel Bettan a « reçu la lumière » le 14 mai 2008 dans la loge Intersection du Grand Orient de France, connue pour être l’antichambre de grands maîtres et où, Xavier Bertrand lui-même avait prononcé le 9 avril 2008, une intervention remarquée…

Prochain chapitre : Daniel Vial

mercredi 21 mars 2012

Affaire du Mediator : les hommes de l'ombre. Chapitre 1 : Aquilino Morelle



Le billet publié en mars 2012 trouve toute sa saveur aujourd'hui à la saveur des révélations concernant Aquilino Morelle et ses conflits d'intérêts. On serait en droit de réclamer une commission d'enquête parlementaire sur les activités de ces "conseillers" un peu spéciaux. Mais n'était-ce pas au fond la revanche d'un cacique vite arrivé et gourmand ?

Quand chacun prend le temps de regarder les acteurs de l’affaire du Mediator de Servier, il est des personnages omniprésents qui, à l’évidence, ont eu un rôle clef dans ce qui est aujourd’hui appelé le « scandale » du Mediator. Aujourd’hui premier chapitre consacré à celui qui est appelé par le JDD « la plume qui pense » : Aquilino Morelle, directeur adjoint de la campagne de François Hollande.

Depuis deux ans, avec un peu d’attention et de perspicacité, c’est-à-dire sans l’aveuglement et la haine récurrente contre les laboratoires Servier, chacun aura pu remarquer plusieurs articles dénonçant le caractère "artificiel" ou tout au moins "entretenu" de la campagne "d'information" sur le Mediator. Certaines contributions –souvent anonymes tant les enjeux semblent disproportionnés-, vont même jusqu'à évoquer une tentative de déstabilisation de la firme Servier à l'initiative de concurrents. Il faut lire : « Censures, Pressions politiques... Vers un Karachi du médicament ? et « Sanofi, GSK, Servier : guerre des labos sur fond de Mediator » ou encore « Systèmes d’influence : la guerre contre Servier ». Toutes ces analyses convergent vers ce qu’un récent ouvrage pertinent appelle les Gourous de la com.

Ainsi donc, le fils d’immigré espagnol, Aquilino Morelle représente la réussite à la française, incarnant à lui seul la « revanche sociale ». Médecin, énarque, très engagé à gauche, ami proche de Manuel Vals, lui-même lié au patron d’Euro RSCG, Stéphane Fouks, (ils ont été ensemble dans le même syndicat étudiant), plume de Lionel Jospin, d’Arnaud Montebourg, de François Hollande. Morelle effectue un passage raté chez Euro RSCG selon ses propres mots où il y crée néanmoins la branche santé après avoir postulé en vain dans plusieurs laboratoires pharmaceutiques. Victime d’une succession de renoncements et de défaites aux législatives (2002, 2007), il rejoint l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales), son ancienne maison. Il n’en sert pas moins Xavier Bertrand, ministre de la santé et des affaires sociales qui le charge de conduire, tel Torquemada, le rapport sur le Mediator au mois de janvier 2011puis d’être le co-auteur du rapport sur la pharmacovigilance et gouvernance de la chaine du médicament en juin 2011.

Pour revenir sur le rapport de l’IGAS sur le Mediator, remarquons qu’Aquilino Morelle expédie ce travail d’investigation en quelques semaines alors qu’il est commun de rédiger des rapports de cette importance en plusieurs mois… Chacun devrait s’interroger sur cette étrange célérité mais en fait, à part quelques spécialistes, personne ne la remarque. La rapidité de réalisation de ce rapport (6 semaines) laisse quand même perplexe et témoigne soit d’un sentiment d’urgence sanitaire, soit d’un règlement de compte. Ainsi, seuls deux professeurs (Derumeaux et Jung) ont représenté les laboratoires Servier face à une centaine de parties prenantes alors que ces mêmes laboratoires réalisaient à la demande de l’AFSSAPS, une étude présentant les risques de valvulopathie présentés par le Mediator.

Morelle, qui ne cesse les allers-retours entre public et privé, brigue actuellement une investiture du Parti Socialiste dans une circonscription occupée par un député sortant âgé de plus de 67 ans (Tony Dreyfus à Paris ou encore dans le Pas-de-Calais), une disposition spécialement créée par Arnaud Montebourg pour son ancien directeur de campagne…

Sans aucun doute, ses relations avec son ministre de tutelle le placent dans une situation inconfortable tant les enjeux politiques et de préservation de carrière sont considérables.

A ce titre, il faut se rappeler de la tentative en décembre 2011 du Ministre du Travail, de l’Emploi et de la Santé de nommer à la tête de la Direction Générale de la Santé, Aquilino Morelle en lieu et place du docteur Grall, nommé le 11 mai 2011 en Conseil des ministres. Cette tentative a été particulièrement mal reçue par l’Elysée qui a bloqué cette nomination par l’intermédiaire de Jean Castex, Secrétaire Général Adjoint de la Présidence, au demeurant ancien chef de cabinet de Xavier Bertrand. Bertrand a donc du faire marche arrière en tentant néanmoins de faire pression sur le rédacteur en chef de la Lettre d’information Espace social européen qui avait éventé ce jeu de chaises musicales. Cette nomination avortée de Morelle à la DGS avait en outre particulièrement agacé les membres de l’UMP à quelques mois de l’élection présidentielle.

Cette tentative de nomination est à mettre en perspective avec le rapport de l’IGAS sur le Mediator. Quel deal y a-t-il eu entre Bertrand et Morelle ? N’y a–t-il pas une tentative de renvoi d’ascenseur pour remercier Morelle d’avoir commis le rapport de l’IGAS avec tant de célérité, rapport qui dédouane au demeurant le Ministre Bertrand lui-même ainsi que la Direction Générale de la Santé et l’AFSSAPS, institutions directement rattachées au Ministre et coupables de cécité dans l’affaire Mediator ?

Pour Morelle, le chemin de la « revanche sociale » s’obscurcit. Le fils d’immigré d’espagnol a bien changé…