Chaque année la
rentrée littéraire nous livre au moins 600 romans. Mais les médias et la presse
spécialisée ne parlent que d’une dizaine à peine. On peut s’interroger sur
cette « sélection ». En même temps les maisons d’édition sortent des
objets littéraires non identifiées (OLNI). Petit regard sur les stratégies des
critiques et maisons d’édition.
Qui na pas rêvé d’être le lauréat d’un prix littéraire dès lors qu’on
écrit quelques lignes sur un cahier d’écolier ? Qui n’a pas rêvé de faire
paraître le premier roman d’un auteur inconnu. Il y eut les Bienveillantes de Littell, puis L’art français de la guerre d’Alexis Jenny, et, cette année
Gallimard a son nouveau roman-surprise : La théorie de l’information d’Aurélien Bellanger.
Miracle éditorial ? Chef d’œuvre anonyme ? Rien de tout cela.
La stratégie d’une maison comme Gallimard sait trouver les bons relais.
Quelques exemples.
La "théorie
de l’information", "un récit si puissant qu’il se montre à même
d’aimanter l’ensemble des événements majeurs, parfois mineurs, qui scandent
l’époque", écrit Libération, le roman le plus innovant de la rentrée littéraire". "Roman choc de la rentrée" pour Technikart.
Le Nouvel Obs y consacre une
page, Le Monde une seconde
page dans le Monde des livres, encore
une pleine page dans le JDD, les Inrocks considèrent Bellanger comme le nouveau Houellebecq…
L’objectif des
maisons d’édition est bien entendu de viser la plus grande notoriété et les
prix littéraires, garantissant un tirage confortable. Un Goncourt ou un
Renaudot assurent au moins 100.000 exemplaires. Ce beau tirage permet également
aux maisons d’éditions d’imprimer d’autres auteurs marginaux, dont le tirage
moyen s’élève à… 500 exemplaires. Mais avoir un ouvrage édité par Gallimard n’a
pas de prix. Le roman est devenu un objet marketing.
En France, un
succès littéraire débute à 5000 exemplaires vendus. C’est assez peu. Il faut
donc développer des méthodes pour que les médias, et surtout ceux qui comptent,
c’est-à-dire environ une douzaine de magazines et de médias parisiens, décident
de valoriser un roman dans leur classement.
Un ouvrage est
désormais retenu par les maisons d’édition pour son potentiel médiatique, en
dehors de toute qualité littéraire. C’est dire si l’objet même de nombre de
romans édités est basique, voire inintéressant. Mais dès lors qu’un auteur
aborde des questions sociétales (!), qu’il se confond dans l’onanisme pervers
(comme la Goncourt de l’année dernière), s’il se fond dans la calomnie
gratuite, alors les éditeurs sentent le bon coup. S’il s’agit du nième ouvrage
d’Amélie Nothomb ou de Marc Levy, banco, c’est sûr, cela se vendra.
Baptiste Liger, critique
littéraire chez Technikart, reconnait que la Théorie de l’information possède un "potentiel
médiatique" : c'est un "sujet sociétal". Un
livre qui "parle du monde d’aujourd’hui".
La réputation
des éditeurs joue un rôle central dans la mise en avant de tel ou tel roman. Le
processus de sélection, est, à priori, identique pour tout le monde. Les
critiques l’affirment : "Gallimard, c'est la maison qui a le
meilleur comité de lecture, alors après tout ce filtre, il y a des chances que
le livre soit pas mal."
Autre élément à
prendre en compte, ce sont bien évidemment les connexions entre un auteur et
une maison d’édition. Il sera beaucoup plus facile de faire paraitre un ouvrage
si vous connaissez un membre d’un comité de lecture. Il défendra d’autant mieux
votre production et placera votre manuscrit en haut de la pile. Vous vous
heurtez au complot germanopratin, c’est-à-dire les critiques qui habitent à côté
des maisons d’édition et des auteurs, grosso modo, la rive gauche parisienne.
Quant aux
émissions radio ou télévision, dans lesquelles d’ailleurs ce sont toujours les
mêmes auteurs qui sont invités, autant les oublier si votre éditeur est
marginal. Pas suffisamment de poids. Pas assez d’impact marketing. Pas assez de
notoriété, puisque dans ce milieu comme tant d’autres, on ne prête qu’aux
riches.
Enfin, il ne
faut pas oublier le buzz sur Twitter entre journalistes. Ce bouche à oreille
compte dans la sélection des médias. Comment en effet lire les 646 livres de la
rentrée ? C’est impossible. Alors chaque critique y va de sa méthode.
Certains lisent les 90 premières pages et s’arrête. Suffisant. D’autres
écrivent des papiers pour faire plaisir à un ou des auteurs auteur déjà connus. D’autres encore satisfont les désirs de gloire des éditeurs en espérant
à leur tour, qu’ils seront édités, (puisque le rêve de tout critique est de
publier son propre livre…), mais en respectant un certain panachage pour ne pas
donner l’impression d’être affilié à une maison d’édition…
Mais cette Théorie de l’édition sera sans doute
infirmée par les auteurs et les critiques littéraires car trop politikement
inkorrekt.